Répandre l’amour pour étouffer la haine

En janvier 2019, dans la partie nord-ouest d’Edmonton, à l’heure où commence la prière du vendredi, deux hommes entrent dans la mosquée Al Rashid, le plus ancien lieu de culte musulman au Canada. Portant des insignes sur lesquels on peut lire « infidèle » ou « non-croyant » écrit en arabe, ils pénètrent dans la mosquée, entrant même dans la section réservée aux femmes et dans les toilettes. Ils feraient partie des Wolves of Odin, et d’autres membres de ce groupe anti-immigration se tiennent sur le trottoir à l’extérieur de la mosquée et insultent les membres de la congrégation en posant des questions provocatrices sur leur religion et leurs croyances.

Cinq jours plus tard, dans le quartier sud-est d’Edmonton, la mosquée Markaz UL Islam reçoit une lettre anonyme contenant des propos haineux : « Au nom des vrais Albertains, nous tenons à vous dire que vous et votre religion n’êtes pas à votre place en Alberta ».

Ministre du culte à l’Église luthérienne Holy Spirit dans le quartier Malmo Plains d’Edmonton, Lindsey Jorgensen- Skakum sait qu’il faut agir. Ces événements lui rappellent malheureusement les suprémacistes blancs qui ont manifesté en 2017 dans les rues de Charlottesville, en Virginie. Les images de centaines de personnes marchant dans cette ville du sud des États-Unis en scandant des slogans racistes, antisémites et homophobes hantent encore Lindsey. « Quelque chose s’est brisé en moi. »

Lindsey décide de publier une question sur Facebook : « Comment pouvons-nous aider? ». Des membres de la communauté musulmane d’Edmonton lui font différentes suggestions, comme envoyer des lettres aux élus pour exprimer son inquiétude quant à la montée de l’intolérance. Lindsey choisit toutefois un autre genre de lettres, moins politiques et plus personnelles, et qui expriment un principe central de sa foi : des « lettres pleines d’amour » adressées directement aux victimes de ces incidents haineux.

Un vendredi soir de janvier, par un froid glacial, alors que le mercure descend sous -40 0C et que la neige tombe, Lindsey ouvre les portes de l’église à tous ceux qui veulent exprimer leur soutien à leurs voisins musulmans. Ils ont appelé la campagne « Spread the Love » (répandre l’amour). Environ 70 personnes se présentent, s’assoient et écrivent des lettres au député provincial local, au maire d’Edmonton, à la police et directement aux membres de la communauté musulmane d’Edmonton.

Les lettres sont ensuite envoyées à leurs différents destinataires : 90 à des organisations publiques et 25 à la mosquée Al Rashid et à l’Edmonton Islamic Academy, une école privée affiliée qui offre un enseignement islamique aux élèves de la maternelle à la 12e année.

« La dernière chose que vous voulez est d’élever un enfant dans un endroit où il se sent humilié ou effrayé. »

« Ce geste a tout changé pour moi, surtout en tant que parent », dit Sadique Pathan, l’imam responsable des relations avec les communautés à la mosquée Al Rashid, dont les trois enfants fréquentent l’Edmonton Islamic Academy. « La dernière chose que vous voulez est d’élever un enfant dans un endroit où il se sent humilié ou effrayé. Ce sont de belles lettres pleines de messages de soutien. »

Imam Sadique Pathan et ministre du culte Lindsey Jorgensen Skakum

Sadique, qui a grandi à Edmonton, est alarmé par les manifestations de plus en plus « ouvertes » et « agressives » d’intolérance envers les musulmans. Il dit que la mosquée Al Rashid est fréquemment vandalisée et que chaque incident est un rappel d’un phénomène plus vaste qui, dans un passé récent, a conduit à des attaques horribles contre des fidèles musulmans à Québec, en Norvège et en Nouvelle-Zélande.

« Il faut reconnaître l’extrémisme et le fanatisme quand ilyena.Etnous devons faire front commun. »

Pour Sadique, l’islamophobie est symptomatique d’une peur et d’une aliénation que seul le dialogue pourra permettre d’apaiser. En tant qu’imam responsable des relations avec les communautés, il ne ménage pas ses efforts pour créer des liens avec la communauté élargie, invitant toutes les personnes qu’il croise à entrer dans la mosquée pour rencontrer les fidèles et poser des questions. Il est heureux de savoir qu’il y a au sein de l’Église luthérienne une personne qui croit aussi fermement que lui au pouvoir de bâtir des liens entre les communautés.

« En règle générale, le Canada est un pays extraordinairement chaleureux et accueillant. Par contre, il faut reconnaître l’extrémisme et le fanatisme quand il y en a. Et nous devons faire front commun. »

Image de la mosquée Al Rashid du nord-ouest d'Edmonton

Ministre du culte Lindsey Jorgensen Skakum

La population canadienne est plus susceptible
d’avoir des stéréotypes négatifs sur les musulmans.
14% des personnes interrogées considèrent que
les musulmans sont violents, comparativement à
3% pour les chrétiens et 2% pour les juifs.

La population canadienne est beaucoup
moins à l’aise à l’idée d’accueillir une
personne musulmane dans leur famille.
31% affirment être mal à l’aise à
l’idée qu’un membre de leur famille
se fiance à une personne musulmane
comparativement à 12% si la
personne pratique une autre religion.

Forum Musulman Canadien et Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient. A Grave Problem: EKOS Survey on Islamophobia in Canada, 2018 (rapport en anglais avec sommaire traduit en français).

Association d’études canadiennes et Fondation canadienne des relations raciales. Opinion des Canadiens sur la haine, 2019.

Statistique Canada. Les crimes haineux déclarés par la police, Statistique Canada, 2018, no au catalogue 85-002-X.

Presque
3 personnes sur 4
au Canada pensent
que le gouvernement
devrait empêcher la
diffusion publique de
messages haineux visant
certains groupes.
Les crimes haineux
ciblant des groupes
religieux représentaient
36%
de tous les crimes haineux
commis au Canada en 2018.

Les crimes haineux
ciblant les musulmans
représentaient
10%
de tous les crimes
haineux déclarés au
Canada en 2018